L’histoire de Sousse les a injustement oubliés : Jean-François GALLINI et Seraphin ZEVACO, deux corses originaires de Poggiolo, village de Corse du Sud entre les deux Sorru (Sorrinesi). Tous deux marquèrent de façon indélébile la ville de Sousse dont ils furent les maires bâtisseurs entre 1894 et 1923 pour M. Gallini et de 1936 à 1956 pour Seraphin Zevaco.
Aujourd’hui encore pas un quartier de Sousse où l’on ne trouve leur empreinte. La reconstruction de Sousse après les bombardements ravageurs de 1943 où les combats entre les Allemands et les alliés détruisirent plus de 50% de la ville est pour l’essentiel l’oeuvre de Seraphin ZEVACO. La restauration de la médina, et particulièrement les abords de la grande Mosquée et du Ribat très endommagés furent entrepris dès 1945/1946 par la municipalité dirigée par Seraphin ZEVACO .
Jean-François GALLINI eut quant à lui les honneurs du poste, car il en fût le premier titulaire. La municipalité de Sousse fût créée en 1894 et il en sera le maire de cette date jusqu’à sa mort en 1923. Avocat tout d’abord inscrit au barreau d’Ajacio en 1885, il s’installa à Sousse en 1888 et y épousa une demoiselle Balsan l’année suivante. Inscrit à cette date au barreau de Sousse dès qu’y fût construit le tribunal de 1ère instance de la ville.
Très vite surnommé « l’empereur du Sahel » car il acquit rapidement la réputation de fournir des places à tous les Corses de Sousse. Car des Corses à Sousse il y en avait ! Qu’on en juge : Durant la période 1890/1920 près de 50% des Français de Sousse étaient originaires du sud de la Corse. En 1934, l’administration coloniale en Tunisie était constituée de 20 à 25% de Corses et la plupart dans le Sahel.
Avenue Bourguiba se dresse toujours l’un des plus anciens hôtels de la ville, le Sousse Palace. Qui sait désormais qu’il est édifié à l’emplacement de l’ancienne prison de Sousse, construite en 1896 par un autre Corse de Poggiolo, Toussaint POGGI, architecte et proche conseiller de M. Gallini.
Ce même Toussaint POGGI inspira, avant de disparaître, la construction de l’actuel théâtre municipal de Sousse en 1908.
Mais Jean-François GALLINI c’est surtout la plupart des grandes artères actuelles de la ville : la rue Mohamed Maarouf, l’avenue de la République, la gare de Sousse avant sa quasi-destruction en 1943 et sa reconstruction en 1947, la chocolaterie située face au jardin des Oiseaux (devenue conservatoire de musique), la création du quartier du Trocadéro, les plans de l’hôpital Fahrat Hached, qui sera édifié entre 1938 et 1942, c’est encore à sa municipalité qu’on le doit ; Jean-François GALLINI était en effet très sensibilisé aux questions de santé par son frère médecin important de la ville, Seraphin Gallini.
Le port et les infrastructures maritimes de la ville de Sousse prirent un essor particulier entre 1898 et 1914 sous son mandat, et l’ancien souk situé à l’actuel emplacement du Magasin Général de Sousse fût inauguré par lui en 1911. C’est d’ailleurs très certainement pour cette raison que le boulevard situé entre la gare et le port porta longtemps son nom avant de devenir l’actuel boulevard Hedi Chakeur.
Mais l’édile de Sousse était un personnage gourmand et avide de fonctions. Car il fût également Sénateur de la Corse dans les années 1920 et très proche soutien d’un futur président de la République, Paul DOUMER (1931-1932). L’histoire ne nous dit pas comment il parvint à remplir les deux mandats en même temps mais force est de constater pour un Soussien d’aujourd’hui et au vu de l’empreinte qu’il a laissée à la 3e ville de Tunisie qu’il semble y être très bien parvenu.
M. ZEVACO qui après un bref intermède devient maire en 1936 eût de très loin à faire face aux plus grands chantiers et aux pires épreuves : la reconstruction du port, de 80% de la vieille ville, de la partie basse de la médina, après les bombardements meurtriers d’avril 1943. De surcroît les tensions qui apparurent dès le début des années 1950 entre les communautés dans la perspective de l’indépendance compliquèrent encore sa tâche. Mr ZEVACO eût même à affronter un attentat contre sa personne. Une bombe artisanale posée sous son véhicule face à sa modeste maison située au carrefour de la route de Ghazzali à Sousse (maison qui existe toujours) mais qui fort heureusement n’occasionna pas de victimes. Il quitta Sousse en 1956 et mourût à Vico en Corse en 1969.
Son Fils Monseigneur Pierre ZEVACO archevêque de Madagascar décédé en 2017, perpétua si l’on peut dire la longue destinée des Sorrinesis de Poggiolo en parcourant lui aussi le monde. Car et c’est le plus fascinant de l’histoire, les Corses attachés oh combien à leur l’Ile de Beauté se sont partout répandus dans le Monde. Les Pozzo di Borgo, les Fellici, les Colonna, les Gallini et les Zevaco, les Ottaviani autant de familles qui marquèrent de leur empreinte tous les continents où ils firent souche.
En Amérique du Sud, en Asie et donc en Tunisie et dans tout le Maghreb on conserve encore la trace de leur action.
Dans les archives privées ou publiques on trouve également la preuve de l’action et de l’influence de ces deux maires vis-à-vis des Soussiens de toutes conditions et quelles que soient leur origine et leur confession. Ainsi, c’est au sénateur Gallini et à maître Boujenah avocat renommé que l’on doit l’implantation à sousse des associations caritatives pour les aveugles et les orphelins puis plus tard à M. Zevaco et au même maître Boujenah les mises en place de dispensaires de l’oeuvre de secours aux enfants (O.S.E).
C’est à l’initiative de M. Zevaco, qu’une maison de l’OSE aménagée en dispensaire fut acquise à Sousse (maison verte dans la rue qui mène à l’école des soeurs en partant de la poste qui existe toujours et porte l’inscription de l’OSE sur son fronton).
De même, c’est sous l’influence de M. Gallini et des familles Cohen et Uzan ainsi que des familles Hayachi et Driss que fut porté sur les fronts baptismaux l’Etoile Sportive du Sahel en 1925, le club phare, encore aujourd’hui, du championnat tunisien.
Enfin durant la 2e guerre mondiale, M. Zevaco mit tout en oeuvre pour cacher des autorités allemandes des familles juives de Sousse grâce au concours actif de familles musulmanes notamment dans les villes de Kaala Kbira et de Moknine.
Plus tard dans les années 50, lorsque des troubles éclatèrent à Sousse le maire Zevaco eut un rôle de médiateur actif entre les communautés, nous en avons retrouvé la trace dans des archives privées et cette action contribua sans nul doute à éviter bien des drames humains, il serait enfin injuste de ne pas souligner la présence certes discrète mais souvent déterminante des caïds musulmans de Sousse qui occupaient symboliquement la fonction honorifique de président de la municipalité et qui tant avec M. Gallini que M. Zevaco assurèrent une gestion qui permit à la ville de demeurer plus encore et jusqu’à aujourd’hui : la perle du Sahel.